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UN ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION

Le 18 octobre 2019 a été notifié un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Cet arrêt concerne des faits qui se sont produits dans un immeuble où résident une centaine d’agents de l’État (magistrature, services de sécurité) :

  • – les documents comptables (appels de fonds trimestriels) de certains lots de copropriété sont manifestement fantaisistes, au sens de l’article 441-1 du code pénal, puisque les versements n’y sont pas reportés par le syndic, et sont néanmoins validés par des juridictions civiles dans des jugements de complaisance ;
  • – un salarié du parquet de Créteil a été membre du conseil syndical en 2003-2004, selon divers documents écrits relatifs à cette copropriété, alors qu’avait disparu une facture de 691 483,13 euros ;
  • – au n° 10 et au n° 14 habitent des individus assignés à résidence, à l’identité incertaine et fluctuante, dans des logements gérés par des hommes de paille du parquet ;
  • – selon les allégations du conseil syndical et de certains agents de l’État, des dégradations auraient (le verbe est au conditionnel) été commises dans les parties communes de l’immeuble, sans que les autorités judiciaires ne soient parvenues à identifier les auteurs de ces infractions, si elles existent ;
  • – de ce fait, les chambres civiles du tribunal de grande instance et de la cour d’appel sont confrontés à un conflit d’intérêts (au sens de l’article L. 731-1 du code de l’organisation judiciaire), lorsqu’ils jugent les litiges de copropriété de cet immeuble.

Au civil, en première instance, le juge avait estimé (comment ?) le montant de la créance à 6 234,97 euros à la date du 1er janvier 2016. En appel, cette somme avait été arrondie (pourquoi ?) à 11 197,49 euros, à la même date du 1er janvier 2016. L’écart (4 962,52 euros), inexplicable, correspond à quatre années de charges ! Et les appels de fonds trimestriels existent en plusieurs versions (une pour la juridiction civile, une autre pour la juridiction pénale, une autre encore pour le copropriétaire) dont aucune n’est conforme à la réalité comptable, ce qui ne peut être légal.

Au pénal :

1) Le parquet refuse d’enregistrer la plainte si elle a été envoyée en recommandé (« elle n’a pas été reçue, la poste ne l’a pas distribuée »), le justiciable doit se présenter personnellement au tribunal.

Le courrier a évidemment été distribué, les magistrats ou leurs greffiers ont-ils le droit de détruire les pièces d’un dossier ?

2) La plainte est ensuite enregistrée deux fois, sous deux numéros différents, puis classée deux fois par le parquet au motif que « l’auteur de l’infraction est inconnu, donc il a forcément indemnisé la victime ».

Les magistrats ou leurs greffiers ont-ils le droit de narguer la victime d’une infraction, parce que celle-ci ne peut prouver immédiatement le conflit d’intérêt (des salariés du parquet sont membres du conseil syndical de la copropriété) ?

3) À l’étape suivante, un premier juge d’instruction assure le service minimum.

La mission d’un juge d’instruction est d’instruire la plainte.

4) Un deuxième juge d’instruction demande un réquisitoire supplétif, mais il est refusé par le parquet qui gère les logements du n° 10 et du n° 14 par hommes de paille interposés.

Le juge d’instruction refuse aussi, alors que l’accord préalable du parquet n’était pas requis, d’ordonner l’expertise des documents comptables falsifiés. Puis il rend une ordonnance de non-lieu le 31 janvier 2017.

5) Le 28 juin 2018, la chambre de l’instruction (pôle 7 – 6ème chambre) valide les errements des juridictions de premier ressort et confirme l’ordonnance de non-lieu.

6) La Cour de cassation s’est prononcée sur le pourvoi du 30 juillet 2018. Le 25 septembre 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, donc confirmé l’ordonnance de non-lieu du 31 janvier 2017.

Apparaît alors une curiosité juridique, une de plus : les conclusions de l’avocat général SALOMON, censées répondre aux observations de la partie civile rédigées le 6 mai 2019, sont datées du 13 avril 2019, donc antérieures de quatre semaines aux observations de la partie civile.

Puis une autre curiosité juridique, encore une dans ce dossier qui dérange les nervis du n° 10 et du n° 14, et qui oblige leurs collègues de cassation à tordre le droit jusqu’à ce qu’il devienne tordu : le mémoire rétroactif de l’avocat général propose la non-admission du pourvoi en se fondant sur le motif que l’un des moyens « remet en cause l’appréciation souveraine des juges du fond ».

Or, les juridictions pénales ne sont pas tenues par les « constatations » du juge civil et un juge de cassation ne devrait pas confondre les juridictions d’instruction avec les juges du fond (tribunal correctionnel, cour d’assises) « dont l’appréciation souveraine ne peut être remise en cause » : les juridictions d’instruction, en premier ressort et en appel, ne sont pas des « juges du fond » et leur appréciation peut être remise en cause, en appel et en cassation.

La motivation du pourvoi est entachée d’une erreur de droit, regrettable à ce niveau, de la part de personnes qui prétendent être des professionnels du droit pénal.

Lors d’un litige civil relatif au calcul des charges de copropriété, le juge doit se récuser s’il existe un conflit d’intérêts (ce qu’il n’a pas fait), examiner la recevabilité de la demande adverse (ce qui n’a pas été fait), déterminer les sommes réellement dues (les sommes calculées par les juges civils sont fortement surévaluées), constater l’irrégularité des pièces comptables versées au dossier par la partie adverse et refuser de les valider par une décision juridictionnelle (or des décisions frelatées ont été rendues).

Qu’est-ce qui est le plus important ?

Le droit, la justice et l’équité, la sincérité des pièces comptables, le respect des règles de procédure ?

Ou bien la solidarité corporatiste, l’indulgence envers la délinquance financière ?

La Cour de cassation a fait son choix.

Constater juridiquement l’incontestable aurait été gênant pour les juges civils, leur négligence aurait été mise en évidence : les juges de cassation ont préféré protéger leurs collègues.

Quand la partie civile se fait entuber, il lui faut attendre avant d’obtenir le remboursement de la consignation et aussi payer la taxe qui sanctionne les parties civiles dont le montant s’élève à 270 euros.

Il faut bien sûr souhaiter une longue et profitable carrière professionnelle à de tels juges.

Le magistrat « indépendant, loyal, respectueux de la loi, protecteur de la liberté individuelle et attentif à la dignité d’autrui » est en réalité un personnage quelque peu théorique, qui existe surtout dans les fictions télévisées.

Quelques progrès sont encore à faire pour que la France devienne un État de droit. Mentionner le nom des juges dans les décisions n’est plus suffisant ; il faut les contraindre eux aussi à respecter les lois, en modifiant leur statut.

Références de l’arrêt :

– cassation : n° X 18-85.123 F-N (daté du 25 septembre 2019) – chambre criminelle : Mme DE LA LANCE, M. WYON, Mme PLANCHON.

– chambre de l’instruction (cour d’appel) : n° 2017/01502 – pôle 7 – 6ème chambre, président M. TURCEY

– juge d’instruction (tribunal de grande instance) : n° 2333/15/22 (initialement : n° 20/14/10) ;

– parquet : n° P 14 007 00005 8 (initialement n° P 14 007 0005 8)

Bibliographie sommaire

  • - Conseil supérieur de la magistrature, Recueil des obligations déontologiques des magistrats, éd. Dalloz
  • - Code de l’organisation judiciaire
  • - René CHAPUS, Droit du contentieux administratif, éd. Montchrestien, 10ème éd, mai 2002 (p. 46 à 52, §§ 40 à 44),
  • Sites web
  • - [http://]www.conseil-supérieur-magistrature.fr
  • - [http://]www.vie-publique-fr
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